Le caucus est le moment qui, dans le match, précède le début de l’improvisation. Ces vingt secondes concédées par le jeu aux deux équipes doit permettre à chacune d’elle de poser les bases de l’improvisation.
Ce moment est très particulier à plus d’un titre. C’est un moment privé dans le cadre d’une représentation publique, par conséquent c’est un moment qui échappe au public. On instaure ici, dans le spectacle, un court instant dont le public ne peut connaître la teneur - Rappelons ici l’origine du mot “caucus”: ce mot, qui vient de l’anglais, désigne le “comité électoral”. Il est utilisé au Québec pour désigner une réunion, un moment de concertation politique, ou une forme de conciliabule - Mais le caucus est également un moment secret vis-à-vis de l’autre équipe. Ce que chaque équipe va amener comme première idée est inconnue de l’autre équipe. Cette évidence est absolument fondamentale car elle va obliger les joueurs à se découvrir tout en essayant de découvrir l’autre, ce qui doit les plonger dans un état d’écoute indispensable. C’est cette confrontation des idées qui va stimuler d’entrée de jeu l’imaginaire. Là encore, tout concourt à mettre tout le monde dans une relation de connivence et d’attention mutuelle. Au coup de sifflet de l’arbitre, chacune des deux équipes arrive avec une idée, sans connaître celle de l’autre équipe, et le public qui ne connaît aucune des deux idées, attend de voir comment celles-ci vont se combiner.
Mais le caucus est aussi un moment durant lequel l’équipe se recentre sur elle-même. Ces vingt secondes doivent être mises à profit par le coach pour concentrer l’équipe autour d’un objectif commun. Il va se jouer à ce moment tout un tas de relations extrêmement sensibles entre les joueurs. Chaque petite prise de pouvoir, chaque refus, chaque confusion va avoir des incidences parfois irréversibles, sur le bon déroulement de l’improvisation à venir, mais également sur le moral des joueurs, qui sont tous à fleur de peau, dans un état d’hypersensibilité. C’est sans doute le moment du match où l’esprit d’équipe doit être le plus fort. La confiance mutuelle des joueurs entre eux et vis-à-vis de leur coach doit amener le groupe à être efficace dans une relation constructive.
Il n’existe pas, à priori, de fonctionnement qui pourrait faire office de méthode. Les mécanismes de groupe qui entrent en jeu dans le caucus échappent aux techniques spécifiques du match. Nous nous approchons ici des mécanismes de la psychologie de groupe, et certaines entreprises ne s’y sont pas trompées en utilisant les techniques du match, notamment ce moment du caucus, dans leurs formations.
Certaines équipes sont très hiérarchisées, d’autres totalement autogérées, le coach ayant alors un rôle minime. Qu’importe tant que chacun y trouve son compte. Ce n’est malheureusement pas toujours le cas, c’est pourquoi quel que soit son fonctionnement, l’équipe devra instaurer pour sa survie des moyens de régulation des tensions. Que ce soit des débriefings d’après match, ou des discussions informelles, il est certain que les petites animosités doivent être dissoutes pour ne pas se transformer en rivalités qui nuiront fatalement au jeu dans la patinoire. Pendant le match nous sommes des joueurs sans filet, mais aussi des êtres humains sans retenue. Nous devons nous prévaloir de cet état de sensibilité extrême pour construire le jeu.
Enfin, une question reste cruciale. Qu’est-ce qu’un bon coaching? Qu’est-ce qui va nourrir assez le joueur pour qu’il entre à cent pour cent dans l’improvisation? Là encore, aucune recette n’est possible. Chaque joueur a des attentes différentes pour être en confiance avec lui-même. Certains auront besoin d’un personnage, d’autres d’une action, d’autres d’un lieu, et d’autres de rien... Bien sûr, plus le coach et l’équipe connaîtront le joueur, plus celui-ci sera nourri de ce dont il a besoin. Il nous apparaît, par contre, fondamental que le joueur entre avec des “bagages”. En d’autres termes, il faut que le comédien soit chargé de quelque chose. Ce peut être simplement une émotion, un personnage ou une mission, mais ça peut également être une histoire avec l’autre personnage ou une appropriation de l’espace. Il doit dans tous les cas être capable de savoir qui il est et ce qu’il fait ici à cet instant présent. Ce sont, pour lui, comme des fils rouges qui sortent de sa poche et qu’il va pouvoir débobiner au fur et à mesure de l’improvisation. Une émotion suscitera une action, qui déterminera un espace, etc... Sans cela, le joueur n’aura d’autre solution que de se raccrocher à l’autre joueur, et de le suivre, et l’improvisation s’asséchera assez vite, car ce dernier s’épuisera à alimenter l’histoire. L’imaginaire de l’autre est un stimulant indispensable pour construire, et une belle improvisation naîtra de la confrontation de deux idées, et non de la meilleure des deux.
Il n’y a donc pas de recettes pour que le caucus soit profitable, il faut juste percevoir l’objectif commun qui consiste à donner au joueur qui va se lancer dans la patinoire la confiance, l’énergie, et les quelques éléments qui lui permettront de construire avec l’autre joueur.Qu’importe les matériaux de cette construction, ce qui compte, c’est la solidité de l’édifice.
© Jean Baptiste Chauvin