Le match d'improvisation théâtrale - Karine BoulianeLe match d'improvisation théâtrale - ensembleLe match d'improvisation théâtrale - caucus

Le match d’improvisation est régi par deux dimensions fondamentales: l’espace et le temps. Il ne suffit pas de se reposer sur un règlement pour établir un langage commun. En d’autres termes nous devons nous demander ce qui définit l’espace, et ce qui gouverne le temps. 

L’ESPACE

Le lieu de la représentation: Le match d’improvisation, en tant que spectacle théâtral, se joue par nature dans une salle de spectacle. Ceci étant, de très nombreuses expériences ont montré qu’il pouvait se jouer dans une foule de lieux différents, pour peu que ces lieux soient identifiés, le temps du match, comme des lieux de représentation. Ainsi des matchs ont eu lieu dans des gymnases, dans des réfectoires d’école, dans des salles polyvalentes, ainsi qu’en extérieur. La seule contrainte est la qualité d’écoute que l’on propose au spectateur, car le match peut se passer d’un éclairage sophistiqué et de strapontins de théâtre, mais pas de l’attention de l’auditoire.

Le match d'improvisation théâtrale - Jocelyne IsaacA l’origine, et cela se pratique encore souvent, le public était disposé sur les quatre côtés, tout autour de la patinoire, obligeant les joueurs à orienter leur jeu sur 360°. Les contraintes pratiques de beaucoup de salles de théâtre imposent souvent d’avoir les spectateurs sur trois, voire sur un seul coté.

Les joueurs sont, quant à eux, assis sur deux des côtés se faisant face, et le staff sur un des cotés perpendiculaire (voir plan en annexe)

La patinoire:  La disposition dans l’espace met la patinoire au centre de toutes les attentions. Tout est disposé autour de cet espace de jeu dans lequel tout est possible

La patinoire est à peu près carrée et d'environ six mètres sur six, et est délimitée par une bordure en bois d'une hauteur de 80 cm environ. Les québécois appellent cette bordure “la bande”. Il n'existe aucune règle ou côte officielle en la matière, et la construction des patinoires étant artisanale, les modèles varient beaucoup. On peut se demander ce qui a motivé la mise en place d’un tel décor, compte tenu des contraintes pratiques et les méthodes de jeu que cela impose. Robert Gravel le justifie très bien (cf : « impro et reflexions »):

“Une tentation serait d’enlever la “bande” et d’agrandir aussi l’aire de jeu, ce qui techniquement est toujours possible mais idéologiquement illogique, selon moi (...). C’est plutôt en fouillant toutes les possibilités physiques que l’on arrive (et que l’on est arrivé) à des résultats surprenants et que l’on tire le maximum d’un endroit à première vue rébarbatif.(...) Quand l’impro marche bien, les comédiens habitent à ce point la patinoire qu’ils ne la voient plus, les spectateurs non plus.”

La patinoire contribue également à codifier l’espace et à délimiter de façon matérialisée les espaces et leurs fonctions. Ainsi il y a un dehors et un dedans, un monde réel et un monde fictif, et une sorte de sacralisation de l’espace de jeu. Gravel poursuit en disant:

“Symboliquement, il est très intéressant de devoir enjamber la bande pour arriver sur l’aire de jeu. Il y a un net passage psychologique qui s’effectue entre l’état d’être dehors (en sécurité) et dedans (en danger).”

Il existe un certain nombre de conventions et de règles quant à l'usage de cet espace de jeu. Ces règles découlent soit des règlements officiels, soit de la pratique.

- La patinoire est donc l’espace exclusif du jeu. Les joueurs en action doivent obligatoirement être à l'intérieur, ou sur les bords de la patinoire, ou à défaut en contact avec celle ci. En d’autres termes, ils ne peuvent se désolidariser de cet espace. Cela a parfois donné des situations cocasses. Un jour, sur l’ultime improvisation d’un match, presque tous les joueurs étaient dans la patinoire et ils ont fait une chaîne avec leurs maillots pour aller jusque dans le public, tout en restant collectivement en contact avec la bande.

Le match d'improvisation théâtrale - espace et temps- Une convention qui est née de la pratique est la “réserve”. Un joueur qui est entré dans la patinoire ne peut en sortir qu’à la fin de l’improvisation. Il a donc fallu trouver une solution pour que celui ci puisse se mettre hors jeu. Le joueur qui veut sortir de l’histoire se met donc en réserve en se cachant sous la bande, pour ne plus être à la vue du public. Il peut ainsi entrer et sortir du jeu, en incarnant des personnages différents sans que cela ne pose de problèmes de compréhension pour le public et les autres joueurs. Les joueurs qui sont en réserve n’ont, selon la pratique de la LNI, pas le droit de communiquer ensemble. Cette règle est souvent dérogée, notamment en France. Les joueurs d’équipes adverses sont autorisés à se concerter pour préparer une intervention commune.

- En dehors des temps d'impro, les joueurs n'ont pas le droit de rentrer dans la patinoire. Seul le capitaine a le droit de venir demander des explications sur les fautes qui ont été sifflées. La patinoire est en permanence sous le contrôle de l’arbitre. D’ailleurs, il est le seul qui y reste en permanence. Il a autorité sur cet espace et contrôle les entrées et sorties des joueurs mais également des assistants.

Pour les joueurs, la patinoire devient très vite un allié, un outil de création avec lequel on compose, en montant sur la bande, en s’asseyant dessus, en se cachant derrière... Dans certaines salles, lorsque la scène est trop haute, on est malheureusement contraint d’enlever un coté de la patinoire. Les joueurs perdent alors leurs repères et le jeu devient tout de suite plus compliqué. Paradoxalement, il est plus difficile de jouer un match sans patinoire, car l’espace de jeu est amputé, éventré, et les conventions d’utilisation sont bouleversées. 

Le match d'improvisation théâtrale - Christian Vanasse, Sylvie LegaultLE TEMPS

Dans le match d’improvisation, tout se conjugue au présent. La dimension temporelle est donc fondamentale. Tout est possible car il y a des limites temporelles qui cadrent par avance ce qui va se jouer dans l’instant. L’improvisation repose sur la prise de risque. Ce risque s’évalue en minutes et en secondes. Le joueur doit produire à partir de rien: il ne déclame pas un texte, il ne raconte pas une histoire qu’il connaît déjà. Il produit en direct, au présent, et il accepte cette obligation de production. Mais il l’accepte car il sait que ce qu’on exige de lui est quantifié: il doit produire dans un espace temps de une, cinq ou dix minutes. Il connaît à l’avance les contraintes et les limites du défi. De même qu’un coureur sait la distance qu’il doit parcourir et construit son effort en fonction de cette distance. Le joueur d’improvisation accepte la prise de risque, il accepte le danger car il sait qu’il sera sauvé par le coup de sifflet final de l’arbitre. De plus, il est en communion avec le spectateur qui participe à son angoisse, en est témoin, et par là-même le soutient moralement. Ce qui se joue est unique, et le public en est conscient. Il vient voir un spectacle, mais la pression temporelle qui s’exerce sur les joueurs, le plonge dans le mystère, le suspens, et l’attente de découvrir ce qui va surgir de l’esprit du comédien. Cette attente commence dés l’échauffement qui met tout le monde, joueurs et spectateurs en haleine.

Le match d'improvisation théâtrale - LNICeci étant, la temporalité a une autre fonction. C’est elle qui crée l’urgence. Perdre du temps dans le match, c’est perdre du spectacle. Chaque seconde doit être pleine. Pleine de tension, de concentration car chaque moment impose d’être rempli. On trouve cette urgence à plusieurs niveaux. Il y a bien sûr le “caucus”, ce moment de concertation de vingt secondes durant lequel les joueurs et leur coach devront jeter les bases de ce qui va se jouer sur la patinoire. Durant ce court laps de temps, le coach devra produire un maximum pour donner au joueur qui va se lancer des éléments qui le sécuriseront. Mais il y a également la pression temporelle qui contraint le joueur à produire. On n’entre pas dans la patinoire gratuitement. Il faut donner du spectacle, donc il faut créer.

Le temps exerce donc sur le joueur une double fonction. Il le pousse à être créateur, il le contraint à produire tout en lui offrant l’échéance salvatrice qui le préservera de la chute.

© Jean Baptiste Chauvin