L'approche pédagogique du match d'improvisation est forcément complexe, car elle touche plusieurs domaines de la créativité et s'établit dans un contexte extrèmement riche en relations humaines. À la fois jeu d'expression théâtrale mais aussi lieu d'enjeux sociaux et psychologiques, le match d'improvisation demande une ouverture assez large. Chacun, par la pratique y découvrira des éléments constructifs de sa personnalité. Eléments artistiques, créatifs, mais aussi dynamiques pour son propre développement, cathartiques pour d'autres, distractifs, émancipatifs, etc...

Pour autant l'apprentissage de cette pratique ne peut tout recouvrir. D'abord parce que le match d'improvisation n'a aucune destinée thérapeutique, mais surtout parce qu'il se définit comme un espace de création (espace lieu et espace temps) en tant que cadre au bénéfice de la créativité sans jamais agir sur celle-ci. L'expression est possible par le cadre, mais le cadre ne définit jamais l'expression.

Il semble donc fondamental de comprendre, si on souhaite entrer dans une démarche pédagogique, que le match est un cadre ludique qui garantie la totale liberté expressive du joueur, et que à aucun moment les règles, les fautes, le staff ne peuvent intervenir sur le fond de ce qui est exprimé. Le cadre garantit le respect de toutes les paroles exprimées, et sécurise la prise de risque créative de chacun, vis à vis des autres joueurs, et vis à vis du public. C'est en cela qu'il est un outil pédagogique puissant, car il apprend la libre expression individuelle dans un champ de règles collectives. En cela c'est une école de la liberté.

Ce petit préambule a vocation de mettre en garde contre la volonté, le plus souvent louable, de certains à utiliser le match comme outil de débat. Par exemple nous avons parfois vu des enseignants utilisant le match pour parler de violence, de drogue, etc... Ou l'organisation de matchs à thèmes: le cinéma, l'Europe, etc... On est là sur une contradiction. Le cadre est là pour favoriser la liberté d'une expression que l'on réduit d'entrée, avec parfois l'ambition plus ou moins consciente de provoquer une parole, un message, qu'il nous plairait d'entendre pour alimenter le débat. Le théâtre pour susciter le débat peut tout à fait avoir son utilité, mais il vaut mieux alors faire appel à des formes qui ont été conçues pour cela comme le théâtre forum.

L'approche pédagogique que nous proposons ici est liée à l'expérience mais n'est qu'une base de réflexion. Elle se découpe en trois niveaux reposant sur l'écoute, les mécanismes de construction et les principes créatifs développés dans la partie "joueur" de ce site. Ces niveaux sont décrits ici pour le joueur en tant qu'individu, mais on pourrait les lire aussi pour une équipe, le développement de l'équipe étant lié au développement des joueurs.

DÉBUTANT

La base fondamentale de tout apprentissage en improvisation c'est l'écoute. Rien n'est possible sans elle. Ecoute intérieure, écoute des autres. Tous les exercices qui seront fait à ce stade devront amener le joueur à être capable d'entendre un message, de l'intégrer, pour ensuite l'utiliser dans son jeu. Par message nous entendons message verbal, mais aussi message visuel, message émotionnel, etc... (voir la page sur les mécanismes d'interaction)

Quand le joueur sait écouter, il va pouvoir créer, écrire son histoire, en relation avec les autres. Nous entrons dans la phase de construction. On peut entrer dans l'espace temps. La grande difficulté ici est de créer en écoutant: on est au coeur des enjeux de l'improvisateur. On avancera donc par petites étapes, avec au début des improvisations très courtes pour appréhender ces difficultés sans aller vers l'impossible. Et petit à petit chacun pourra expérimenter cette expression.

Les débuts de l'improvisateur peuvent être très perturbant. Il nous semble que plus l'approche est ludique, mieux elle sera vécue. Chaque petit progrès est à mettre en valeur. Le joueur doit s'épater lui-même pour avoir envie de continuer. Nous ne sommes pas encore en match et le cadre c'est le formateur. C'est lui qui sécurise, qui garantit, qui encourage même. Tel le maître nageur avec sa perche, il permet au joueur de nager là où il n'a plus pied.

Attention: à ce stade il peut sembler plus facile de faire jouer seul les participants, en partant du postulat que créer seul c'est plus facile qu'à plusieurs. Ce n'est pas le cas. Au delà du fait que ça n'entraîne pas le joueur à utiliser les propositions des autres, ça le contraint à être seul face à tous, ce qui est pour certains une mise à nue très déstabilisante.

INITIÉ

Quand le joueur commence à être à l'aise pour écrire, raconter une histoire, qu'il sait intégrer les éléments qui émergent, qu'il sait improviser sans trop de peur avec les autres, il va devoir apprendre à organiser son jeu. Pour arriver à ce stade, cela peut être quasi spontané pour certains et prendre des mois pour d'autres.

Pour organiser, seul et à plusieurs, sa création, le joueur va devoir apprendre à gérer le temps, l'espace et son rapport au public. L'idée étant de rendre son improvisation de plus en plus claire.

En apprivoisant le temps, le joueur va découvrir comment l'utiliser, en jouant sur le rythme, en posant des silences sans en avoir peur, en variant les approches entre une impro de deux minutes et une impro de huit minutes, etc... Il va apprendre du coup à maitriser son angoisse du vide car il sait qu'il y a une fin temporelle à sa création et qu'il sait la voir. Pour reprendre la métaphore du nageur, il peut traverser la piscine sans paniquer car il voit l'autre bord et qu'il sait assez bien nager pour y arriver. Dans un deuxième temps, en associant le temps à sa création, le joueur sera capable de prévoir la fin et éventuellement d'anticiper la chute de l'histoire.

L'espace de jeu qu'est la patinoire étant vide, le joueur va devoir apprendre à organiser son jeu dans ce vide. Quels sont les éléments virtuels que je vais placer, et comment je les utilise. Comment je gère les espaces entre moi et les autres joueurs (les débutant ayant naturellement envie de se coller les uns aux autres) Comment je rationalise mes déplacements: donner un sens aux mouvements et ne plus piétiner en permanance. Comment je joue avec le bord de la patinoire, avec la réserve. Autant de questions que le joueur doit experimenter et transformer en jeu.

Enfin le joueur va prendre de plus en plus conscience du jeu qu'il produit pour l'orienter vers le public. Tout ce que je fais doit être donné à voir.

Bien sûr, à ce niveau d'apprentissage, l'écoute et la construction restent fondamentaux, et les nouvelles contraintes peuvent parfois faire oublier ces fondamentaux. Il convient d'y revenir en permanence.

CONFIRMÉ

Le joueur confirmé est celui qui sait improviser et construire son histoire tout en l'organisant. À ce niveau il va pouvoir donner une couleur à sa création. En cela, il va pouvoir approcher la dimension artistique de ce jeu d'expression. En développant son imaginaire, en multipliant son panel de personnages, en explorant différents registres et différentes catégories, il va étoffer son jeu, lui donner de l'épaisseur, élargir le champ des possibles. Il va créer de nouveaux codes, inventer de nouvelles formes d'écriture. Il va enrichir son jeu.

À ce niveau, au delà du travail collectif, le joueur doit rentrer en quête et cela va au delà du temps d'apprentissage. Ses lectures, sa culture, sa curiosité, doivent être mises au service de sa création. Pour évoluer à ce niveau, le joueur se transforme en chercheur. C'est souvent à ce stade que le joueur professionnel se démarque, pour peu bien sûr qu'il soit dans cet état d'esprit.

Pour appréhender ces niveaux d'apprentissage, il ne faut pas les voir comme des strates, mais comme des étapes. Il ne sert à rien de parler de registres et de catégories à un joueur qui ne sait pas encore construire. Par contre, on peut faire des exercices d'écoute avec des joueurs confirmés, car il s'agît de fondamentaux. De même que les principes créatifs, ne se travaillent jamais isolément. Pour travailler un style vaudeville, il faut s'interroger sur l'espace, de même qu'un travail sur l'imaginaire doit tenir compte du temps.

© Jean Baptiste Chauvin