ThéâtreSport
D’après Keith JOHNSTONE. - Book of the Moose - Faber & Faber - 1990
“La musique de générique commence tandis que le public se met à applaudir. Une poursuite balaie la salle (comme à la nuit des oscars). Le commentateur arrive et se place devant le panneau de score, face aux spectateurs massés sur des gradins en demi cercle. Il leur souhaite la bienvenue (...). Éventuellement il demande à la salle de faire la vague. Puis il quitte la scène pour devenir une voix “off”. Il explique alors toutes les difficultés du jeu, certaines finesses (...). Cette voix peut commenter succinctement mais ne doit pas venir perturber le jeu, car le Maître de cérémonie qui reste sur scène est là pour parler pendant les intermèdes.
“Pouvons nous avoir la traditionnelle huée pour accueillir les juges” annonce la voix du commentateur. Ce n’est pas une simple manière d’être drôle, mais le moyen d’autoriser le public à huer les juges quand ils le désirent. Trois juges en robe arrivent alors et vont s’asseoir dans la fosse, devant la scène. Ils ont un Klaxon de vélo suspendu autour du cou, et leur mine est sérieuse car ce n’est pas amusant de se faire huer par un public haineux. La corne de brume est, quant à elle, utilisée par les juges pour faire savoir aux joueurs qu’ils s’ennuient et que ces derniers doivent arrêter l’impro et évacuer la scène.
En général, le commentateur introduit la soirée de la façon suivante:
“Un challenge de dix minutes va être joué par deux des équipes en lice. Un bel applaudissement pour les Aardvarks...”. L’équipe des Aardvarks arrive en courant par le côté opposé à leur banc. Cela donne la possibilité de bien les voir lorsqu’ils traversent la scène. Ils se mettent ensuite en groupe fermé pour bien montrer qu’ils sont une équipe et non une somme d’individualités.
Au Loose Moose Theater, les équipes restent dans une semi obscurité, dans une petite fosse qui fait le tour de la scène. Certains groupes d’impro laissent les équipes en pleine lumière pendant tout le spectacle, et certains même assoient les joueurs au fond de la scène, face au public, ce qui les oblige à garder de façon fixe une expression joyeuse (C’est le cas notamment au “Game Show Theatresport” où le Maître de Cérémonie devient la star et où les joueurs ne sont que des volontaires qui sont sont là pour jouer les impros)
”Un juge et les deux capitaines d’équipe au centre, s’il vous plaît.” demande le Maître de cérémonie. Une pièce est lancée pour déterminer l’équipe qui a le choix.
“Nous vous laissons lancer le premier défi”
Un joueur traverse et va en “territoire ennemi”. et dit face à l’équipe adverse:
“Nous les Aardvarks, vous défions, vous les Bad Billy’s, pour la meilleure scène d’un film récent” (ou un autre défi)
“Nous acceptons!” répondent les opposants.
Chaque équipe improvise la scène appropriée (l’équipe qui a défié commence), et à la fin, les juges attribuent une note qui va de zéro à cinq en levant un panneau (cinq étant la meilleure note). Ils donnent ensuite un coup de corne de brume pour demander au joueurs de “gentiment quitter la scène”. Les défis s’enchaînent jusqu’au temps défini.
Les équipes peuvent se défier sur n’importe quoi (dans la mesure où les juges l’acceptent). Ainsi Bruce Mc Culloch a un jour défié l’autre équipe “sur la meilleure scène durant le temps qu’il pourrait tenir la tête dans une bassine d’eau”. Mais la plupart des équipes défient sur des Jeux d’impro, et on retrouve le plus souvent les mêmes défis ce qui tend à créer une certaine monotonie (...). Les jeux d’impro doivent être interprétés au travers d’une histoire, ou avec un défi comme “la meilleure scène religieuse” ou “la meilleure interprétation d’un rêve d’un des spectateurs”, etc... Parfois, il y a des défis à “un contre un”, où les joueurs des deux équipes jouent ensemble, et en général à plusieurs.
Les improvisations peuvent durer, comme dans le théâtre conventionnel, mais tout le monde espère qu’une impro ennuyeuse sera coupée court par un “Avertissement à l’ennui” (un coup de corne de brume), et si le juge arrête une improvisation que le public apprécie il y aura un maximum de hurlements. Je me souviens d’avoir été juge avec Suzanne Osten, à la première partie de Théâtresport à Unga Klara, et d’avoir vu sa stupéfaction devant les vociférations proférées par les habitués du théâtre de Stockolm. Je lui ai demandé de se retourner et de regarder le public, et elle a vu tous ces joyeux suédois hurler à tue tête.
Les pénalités attribuées condamnent le joueur à rester deux minutes, derrière le panneau de score avec un panier d’osier sur la tête. Dans de rares occasions, les juges peuvent punir un des spectateurs, en général quand celui ci a proféré des obscénités. Ceux-ci ne refusent jamais, car la pression est alors énorme. Dans quel autre spectacle peut-on ainsi se faire remarquer et être mis dans un coin avec un panier sur la tête?
Le première partie est en général suivie d’une improvisation libre de quinze minutes dans laquelle l’entraîneur donne un classement (exactement comme je l’ai fait avec le Théâtre-Machine dans les années 60). Cela peut être intéressant dans un moment plus calme car le public aime bien être mis dans la confidentialité.
L’improvisation libre est généralement suivie d’un”jeu danois” (ainsi appelé car je l’ai mis en place au Danemark au moment où nous développions un mouvement international de Théâtresport). Les juges s’en vont. Le maître de cérémonie explique le principe du panier pour les fautes (si celui ci n’a pas été déjà utilisé), et dit aux spectateurs qu’après chaque paire d’improvisation il leur sera demandé de crier le nom de l’équipe qu’ils ont trouvée la meilleure. Il leur demande de crier le nom de l’équipe le plus fort possible. Certains groupes d’impro demandent au public de brandir un carton rouge ou jaune pour indiquer l’équipe qu’ils ont préférée, mais cela est plus monotone que de faire hurler le nom de l’équipe.
Le match commence et après chaque défi joué par les deux équipes, le maître de cérémonie rappelle aux spectateurs les scènes qu’ils viennent de voir (car le fait de rire interfère avec les capacités de la mémoire courte). (...) L’équipe gagnante marque cinq points et un autre défi est lancé. Parfois, on fait crier deux fois le public, et les noms des deux équipes sont criés séparément, mais cela nécessite d’avoir un “décibelomètre”, ou un instrument du genre. Nous n’utilisons jamais cette méthode. Crier en groupe est bon pour le corps. (...)
Les équipes peuvent jouer leur improvisations en mime, en gromelot, en vers, en chanson, etc... Les histoires sont alimentées par des personnages qui sont cachés en coulisses pour entrer en scène pour faire des personnages. Parfois, certains spectateurs volontaires peuvent être amenés à jouer sur scène. (Une fois, j’ai vu cinquante personnes courir sur scène, se coucher et faire des bruits avec la bouche pendant que les improvisateurs marchaient au milieu d’eux, pour simuler des canards en train de nager dans un marais).
Après une heure de jeu, nous avons un quart d’heure de pause, puis les joueurs les plus expérimentés refont une nouvelle partie où l’équipe gagnante est celle qui reste le plus longtemps sur scène (Le gagnant de chaque défi peut jouer une nouvelle scène pour accumuler de nouveaux points).
Le public sort de la salle vers vingt deux heures au plus tard, et si le spectacle a été bon, vous sentez que le groupe des spectateurs a retrouvé un naturel positif, coopératif. C’est thérapeutique d’avoir été en bonne compagnie, de hurler, de crier, et même pour certains volontaires d’être monté sur scène pour improviser. Avec un peu de chance, vous vous sentez aussi bien que si vous aviez été à une fête entre amis.
Et les belles fêtes ne dépendent pas de l’alcool qui a été bu, mais bien de la positivité des interactions.”