Le match d'improvisation théâtrale - LNILe match d'improvisation théâtrale - GravelLe match d'improvisation théâtrale - premier match

Ces photos proviennent du site de la LNI

Le match d’improvisation, sous sa forme moderne semble être une forme originale. Or, en fouillant l’histoire , on peut se rendre compte que le principe de la joute oratoire et théâtrale fût pratiquée dans bien des civilisations.

La joute théâtrale et poétique

L’idée que le théâtre puisse être associé à une forme quelconque de compétitivité semble totalement incongrue, voire même choquante. Car le paradoxe d’une telle association semble contraire aux principes implicites des professionnels  du théâtre, comme l’unité des acteurs vers un même objectif, ou l’esprit de troupe.

Et pourtant! Au delà du simple fait qu’il y ait une concurrence, aussi bien économique que sociologique dans le théâtre, l’histoire est jalonnée d’expériences qui organisent le théâtre sous une forme compétitive.

Dés l’antiquité, nous retrouvons des “concours dramatiques”. Ces concours étaient très structurés, et mettaient en jeu des poètes qui avaient à la fois le rôle d’acteur, d’auteur et de metteur en scène. Chaque poète se voyait attribué, par tirage au sort un choeur et des acteurs. Les choeurs étaient formés par un archonte, sorte de magistrat suprême, qui désignait également les acteurs en trois catégories: les protagonistes (premiers rôles), les deutéragonistes (second rôles), et les tetragonistes (troisièmes rôles). C’est également par tirage au sort qu’on déterminait les juges (“Kritai”) chargés d’établir le palmarès. Les juges étaient proposés au tirage au sort par chacune des tribus athéniennes. Ils votaient à bulletin secret pour les poètes qu’ils avaient préférés. Le vainqueur avait son nom gravé dans le marbre des théâtres.

Au Moyen Âge, l’enseignement universitaire a vu fleurir une pratique, qui au départ ne constituait qu’un exercice, et qui est devenu un véritable sport: la Dialectica. Plus qu’un véritable spectacle théâtral, il s’agit ici d’une joute oratoire qui a pour objectif d’entraîner les étudiants à soutenir des thèses. L’exercice met en jeu deux protagonistes: un opposant et un répondant. Le répondant est en fait le candidat, et il se voit opposer un autre étudiant qui doit contrer sa thèse, par une antithèse. Le maître qui préside donne alors la conclusion. Cette forme de “dispute” (disputatio), envahit la vie universitaire, et devient un véritable sport. Les maîtres se “disputent” une fois par semaine devant les étudiants, et les étudiant “disputent” à l’occasion des examens. Tout le cérémonial est codifié, ritualisé dans un traité de règles: l’”Ars Obligatoria”.

Plus tard, les jésuites feront de cet exercice de rhétorique, un véritable outil de formation, entraînant leurs élèves à construire leur discours dans des duels oratoires où seule l’éloquence compte.

Dans son mémoire de DEA, Jean Jourdan (voir la bibliographie) évoque d’autres formes de joutes. On trouve une forme de joute poétique et chantée, au XII° et XIII° siècle, chez les troubadours (langue d’Oc) et les trouvères (langue d’Oïl). Cette joute se pratiquait dans les villages, lors des fêtes languedociennes, lors des noces et jusque dans les auberges. Dans d’autres civilisations aussi. Ainsi, on pratiquait une forme de dispute orale, accompagnée d’une gestuelle très codifiée chez les moines tibétains. En Turquie, dans le Caucase, en Perse se pratiquaient de grands tournois durant lesquels s’affrontaient les bardes récitants (les “Ashoks”). En Afghanistan, il existait des concours de récitation de longs poèmes épiques, ainsi qu’à Madagascar, où des duels, appelés “Hain-tenys”, voyaient s’affronter des troupes de comédiens, musiciens et chanteurs.

Cette liste n’est sans doute pas exhaustive, d’autant que plusieurs témoignages laissent à penser qu’il y avait des pratiques similaires, notamment en Afrique noire.

Le “Théâtresport” de Keith Johnstone

Le match d'improvisation théâtrale - Keith JohnstoneLe “Théâtresport” est sans conteste la forme la plus approchante du match d’improvisation. Dans les années 50, Keith Johnstone est professeur de théâtre au très conventionnel “Royal Court Theater”, à Londres. Il commence déjà à l’époque à formuler certaines théories sur la créativité et la spontanéité. Mais le théâtre britannique de cette époque ne lui convient pas. Il le trouve bien trop prétentieux et bien en marge de l’homme de la rue.

A coté de cela Keith Johnstone est fasciné par les matchs de catch, par l’ambiance populaire qui y règne et le spectacle théâtral qui y est donné. Il se demande pourquoi le public est si policé au théâtre et si exubérant au catch. A l’issue d’un de ces matchs, il se met à imaginer, avec quelques amis, un match de catch où on remplacerait les catcheurs par des improvisateurs. En cherchant à mettre en place une telle idée avec ses élèves, qui donneront les prémisses du Theatresport (qu’il appellera d’abord le Théâtre Machine), il se confrontera très vite à sa hiérarchie qui cherchera sans cesse à contrôler le sens de ce qui est prononcé dans ses cours. Autant dire que l’émergence d’une forme de théâtre improvisé est quasiment impossible. Mais ses élèves poussèrent Keith Johnstone à faire des représentations publiques, malgré l’interdiction du seigneur Chamberlain, maître à penser de l’institution. Il organisa donc, pour le compte de l’examen final, des cours d’improvisation en public. La direction du Royal Court Theater ferma les yeux, considérant que ces méthodes, fort peu éducatives, avaient au moins le mérite d’animer la classe.

En 1971, Keith Johnstone devient professeur à l’Université de Calgary, au Canada (“Un pays indiscutablement plus libéral” selon ses dires). N’ayant pas lâché son idée, il reprend ses travaux sur le Théâtresport avec ses nouveaux élèves. Et c’est dans la quasi confidentialité que se tient le premier spectacle, dans les sous-sols de l’Université.

“Le public hurlait, comme dans les matchs de hockey.(...) L’odeur du pop corn vous indiquait que vous étiez en présence d’un spectacle vraiment populaire (les canadiens n’associent jamais le pop-corn à quelque chose de “culturel”)”

Le match d'improvisation théâtrale - TheatresportLe jeu, petit à petit va s’exporter. Un groupe est très vite monté à Vancouver, puis quelques démonstrations ont lieu en Europe. En 1977, Keith Johnstone crée le Loose Moose Theater, à Calgary, qui est devenu le centre du développement du Theatresport.

Aujourd’hui, il y a des centaines d’”Improv group” à travers le monde, et des dizaines de ligues se sont créées (les “Theatresports center”). Les formes se sont plus ou moins modifiées, s’adaptant aux pays et aux différents publics. Et chaque été, le Loose Moose Theatre organise un séminaire durant lequel les pratiquants du monde entier peuvent confronter leurs pratiques (“International Improv Summer School”). Le jeu s’est principalement développé dans les pays anglo-saxons, mais on retrouve des ligues en Scandinavie, et également en Afrique.

Pour plus de détails sur le Théâtresport, voici un petit descriptif
Vous pouvez aller visiter une page du site impro.ch, où Christophe Tournier raconte un stage en compagnie de Keith Johnstone:

Le “Match d’Improvisation Théâtrale” de Robert Gravel et Yvon Leduc

Le match d'improvisation théâtrale - GravelLe match d'improvisation théâtrale - LeducRobert Gravel, né en 1944, est un pur produit du renouveau théâtral des années 70, notamment au travers de la prolifération des créations collectives et de l’esprit libertaire qui règne chez les jeunes comédiens. A peine sorti du conservatoire, il entrera dans la troupe des Jeunes Comédiens du Théâtre du Nouveau Monde, dirigée par Jean Pierre Ronfard. La rencontre avec le metteur en scène sera déterminante pour Robert Gravel, et ils monteront ensemble en 1975, avec la comédienne Pol Pelletier, le Théâtre Expérimental de Montréal. Cette nouvelle compagnie, ouverte à toutes les nouveautés en matière de recherche, trouvera refuge au deuxième étage de la Maison de Beaujeu, dans le vieux Montréal. Continuant, chacun de leur côté, à travailler pour le théâtre conventionnel, ils ouvriront avec le Théâtre Expérimental de Montréal  des voies nouvelles pour la création théâtrale. Les répétitions se finissaient le plus souvent par de longues discussions dans un restaurant du vieux Montréal qui s’appelait “La Charade” (qui donnera son nom à la coupe “Charade”, trophée disputé chaque saison à la Ligue Nationale d’Improvisation). Ce restaurant deviendra bientôt un haut lieu de l’avant-garde théâtrale montréalaise, où se croiseront metteurs en scène et comédiens.

A cette époque le théâtre québécois est fortement marqué par une quête d’identité. Peu d’auteurs québécois ayant émergés, l’improvisation prend très vite une place importante dans les créations collectives, à l’image du « Grand cirque ordinaire » qui consacra  l’improvisation comme un art à part entière, dans de grands spectacles dénudés, avec des improvisations d’une heure ou deux heures, avec un style plutôt mystique. Cette forme ne plait pas à Robert Gravel qui trouve que le comédien est abusivement magnifié. Il s’intéresse donc à d’autres formes, et il expérimente, avec quelques comédiens et vidéastes dont Yvon Leduc. Il y aura les « 24 heures de l’improvisation à deux comédiens », puis le « Zoo », sorte de parcours théâtral qui mélangeait les arts visuels : sculptures, arts plastiques et comédiens improvisateurs. Les spectateurs déambulaient dans ce zoo aménagé, croisant même poules et cochons.

Le principe d’un jeu d’improvisation commença à germer avec les “jeunes comédiens du Théâtre du Nouveau Monde”, jeu qui s’inspirait du jeu de Monopoly. Son élaboration se révéla trop compliquée. Avec le Théâtre Expérimental de Montréal, Gravel travaillera également sur le projet d’une pièce à plusieurs issues possibles. Il pensait qu’il y avait matière à créer un spectacle qui soit vraiment unique à chaque représentation. Un sorte de “Happening” théâtral, mais régi par des règles très strictes.

C’est au cours d’une soirée de l’automne 1977 (paraît-il arrosée !), que Robert Gravel se mit à imaginer un jeu théâtral, calqué sur les règles du hockey, qui verrait s’affronter  deux équipes d’improvisateurs. En face de lui, il y avait Jean Pierre Ronfard, Benoît Gravel et Yvon Leduc. A la fin de la soirée, tout était là. Mais cette idée aurait pu rester une idée de plus si le lendemain, Yvon Leduc n’avait rappelé Gravel pour le persuader de mettre son idée à exécution. C’est ainsi que le 21 octobre 1977, à la Maison Beaujeu, après avoir réussi à convaincre douze comédiens de se lancer dans l’aventure, Gravel organisa le premier match d’improvisation théâtrale.

Si la paternité du match d'improvisation revient à Robert Gravel, plusieurs personnes apportèrent à ce jeu leur talent et leur expérience afin de le faire évoluer. Yvon Leduc bien sûr qui aida à concrétiser l'idée et qui aida à la création de la LNI. Anne-Marie Laprade, la compagne de Robert Gravel qui en coulisse contribua à la mise en place du jeu. Yvan Ponton, ami comédien de Gravel qui accepta d'endosser le rôle d'aritre lors du premier match, et contribua ainsi à l'élaboration des règles. Et Pierre Martineau, qui travaillait déjà avec Gravel sur des spectacles de marionnettes et qui fût le premier maître de cérémonie. Il participa comme Yvan Ponton à l'évolution du jeu, car il fallu procéder au fur et à mesure à des ajustements et à des améliorations. (voir les références du livre de Pierre Martineau en biblio dans les bonus)

L’expérience du match ne devait durer que trois soirées. Malgré des débuts médiocres sur la qualité du jeu, le succès fut tel qu’il fallut continuer, organiser un championnat, travailler, améliorer, etc...

En 1979, Le match d’improvisation est au coeur de la scission du Théâtre Expérimental de Montréal, certains le jugeant contraire à la démarche esthétique du TEM, et trop institutionnel. Cela donnera la création de la LNI (Ligue Nationale d’Improvisation). De la Maison de Beaujeu, le LNI ira à l’Atelier Continu, puis à la salle Alfred Laliberté à l’UQÀM (Université du Québec à Montréal), ensuite dans la grande salle du Spectrum, puis au Meddley. Aujourd'hui en 2010, la LNI est au Club Soda.

(Voir le reportage sur l'histoire de la LNI en fin de page)

En 1981, la LNI s’exporte en France, à l’invitation du Théâtre de la Commune d’Aubervilliers pour une tournée de quelques dates. L’engouement sera presque immédiat et la LNI se verra invité en 1982 au festival d’Avignon, où elle se produira dans la cour du lycée Mistral, et en 1983 pour une tournée de 33 dates où elle ira jusqu’en Suisse, formant au passage des dizaines de comédiens à cette nouvelle pratique.

À la suite de la première tournée, en 1981, des ateliers formèrent les premiers comédiens français,  notamment de Jacques Livchine et Hervée Delafond de l’Unité et Compagnie, qui seront à l’initiative de la création de la LIF (Ligue d’Improvisation Française) avec Françoise Boyer et François Campana. La LIF organisa son premier match officiel en février 1982 à Conflans Sainte Honorine dans les Yvelines. Plusieurs matchs eurent lieu dans la salle de la « coquille » au Théâtre d’Aubervilliers, puis il y eut deux saisons au Théâtre de l’Escalier d’Or (1982 et 1983), et enfin la LIF s’installa en 1984 au Bataclan  où elles vécut ses heures de gloire. Elle disparût en 1995 après de multiples tumultes. Le relais a été pris par la LIFI (Ligue d’Ile de France d’Improvisation) et par huit autres ligues professionnelles, réparties sur le territoire et regroupées sous le label « LIFpro ».

Une multitude de ligues amateurs ont vu le jour il devient presque impossible de les recenser toutes.

Notons aussi qu’en 1983 se créent la LIB (Ligue d’Improvisation Belge) et la LIS (Ligue d’Improvisation Suisse).

Les médias commencent à s’intéresser au phénomène, et dés 1982, on assiste aux premières retransmissions télévisées par Radio Canada. En 1983, un match France/Québec, à Paris est relayé en direct au Canada. De 2000 à 2008, le match a été adapté pour s’intégrer au Festival « Juste pour rire » de Montréal et était retransmis en direct chaque été.

Le match a aussi infiltré les milieux scolaires et universitaires, aboutissant à l’organisation de tournois, de championnats, etc... Il a trouvé sa place dans la formation professionnelle mais également dans les comités d’entreprises avec l’organisation de rencontres corporatives. Il a provoqué un vrai engouement dans l’enseignement du théâtre amateur, provoquant de multiples rencontres, championnats et tournois internationaux. Des dizaines de ligues et de fédérations, à tous les niveaux, se sont créées dans la plupart des pays francophones, mais également en Italie (championne du Monde francophone en 1998), en Argentine, et aux États Unis (Boston). Les ligues et les équipes qui se sont créées spontanément un peu partout, essaient aujourd’hui de se regrouper en associations ou en fédérations. C’est une démarche difficile qui a rencontré bien des écueils, mais qui témoigne de la volonté des différents acteurs de pérenniser cette pratique.

Le match d'improvisation théâtrale - JamelLe match d'improvisation théâtrale - Courtemanche

“Le Match d’Improvisation sera mondial ou ne sera pas!”. Ainsi parlait Robert Gravel, brutalement disparu en Août 1996, et effectivement on peut dire que ce sport théâtral a dépassé le stade de la simple mode, et qu’au delà de toutes les critiques des milieux du théâtre, il a su conquérir la seule vraie légitimité, celle du public. Il a réveillé des talents aujourd’hui connus et reconnus (Courtemanche au Québec ou Jamel Debbouze en France), il a suscité de multiples vocations artistiques (Combien sont venus au théâtre en passant par l’improvisation?), Il a rempli les salles de spectateurs dont la plupart n’allait jamais au théâtre, il a su se rendre indispensable.

Toute sa vie, Robert Gravel chérira son “bébé”. A la LNI, il régnait en père fondateur, en patriarche, réfutant toute critique et toute forme d’évolution du concept. Il s’opposa notamment à tous ceux qui voulaient laisser plus de place à l’expérimentation théâtrale, au détriment de l’enjeu compétitif. Il tenait énormément à la forme sportive qui constituait à ses yeux la raison d’être du Match. Nous verrons qu’il avait résolument raison.

Voici un reportage réalisé par Radio Canada pour les 30 ans de la LNI en 2007. (Ce reportage est en 3 parties)

© Jean Baptiste Chauvin